Voici le récit de l'assaut de la 345ème compagnie du 19ème BCC sur le village de Crécy-sur-Serre, au nord de Laon :
"Les R-35 débouchent sur la place pendant que mes D2 les protègent en mitraillant les couverts de la gare. Cela se passe très bien cette attaque. Trop beau pour être vrai ! L'enfer se déchaine d, p, se rue sur nous, flambe par toutes les portes, toutes les fenêtres, tous les soupiraux. Crécy est une redoute ants, une énorme embuscade où d'innombrables tubes de tous les calibres nous assaisonnent à pleine cadence. Sous l'effroyable canonnade, les R-35 ont perdu pied et se replient en catastrophe. Plusieurs flambent déjà. Il ne s'agit plus de nettoyer le village mais d'engager un duel au canon à bout portant. Ce n'est pas leur travail, mais le notre.
[i]"En avant, accélérez !"[/i]
Et la compagnie bien groupée, se précipite sur le village. "L'Alma" est en tête. Il éparpille un premier barrage, en écrase un second, s, sur le pont qui franchit la Serre, saute avec le pont, miné. Des étages, des greniers les antichars allemands tirent à une cadence exaspérée, et pour parachever le tout, les Panzer IV camouflés derrière les maisons lancent leurs 40 tonnes et leurs 75 de tourelle à l'assaut. Le ventre ouvert, couché sur le coté droit, "L'Alma" déguste des obus qui le percent, "L'Orléans" qui le suivait à quelques mètres, perd ses chenilles sur une autre mine et, immobilisé, se fait traverser par plusieurs antichars. L'un d'eux tire d'un premier étage, perce le persiennage et blesse le Lieutenant.
Mon char D2 "Rocroi", en troisième position, stoppe à vingt mètres du pont. Je balaie la place avec ma mitrailleuse de tourelle et j'alterne au 47, obus de rupture et explosifs. J'y vois mal. L'ennemi est bien camouflé, et ce sont les maisons de gauche qui ripostent lorsque je tire sur celles de droite. Je déguste terriblement, plus de cinquante obus en quelques minutes. Un choc formidable. Ma tourelle dérive, frappée à la base. La boîte de pointage latéral est bloquée. La tourelle n'obéit plus. Je m'acharne furieusement sur elle, frappe la boite et au moment où je vais désespérer de la débloquer, la tourelle joue, je tire bing ! Un gros calibre s'écrase en oblique sur le haut de ma tourelle, qui rougit et se fend. Un autre enlève le pot d'échappement. Dans le vacarme ahurissant, j'entends mon radio 51 qui m'appelle :
[i]"Mon capitaine, y'a le feu dans le bazar ! - Prends l'extincteur !"[/i]
Il le décroche et arrose la chambre des machines entre mes jambes pendant que je continue à arroser, au canon, la place de Crécy.
[i]"Alors ce feu ? - Terminé mon capitaine !"[/i]
Ca pleut toujours mais moins serré. Nous avons quand même fichu pas mal d'antichars en l'air. Tout près de moi, un allemand décapité par un de mes 47 est resté crispé sur sa pièce, et pendant que la compagnie continue à arroser la place de Crécy de toutes ses armes, je fais un rapide bilan.
J'ai deux chars en feu, et leurs équipages qui ne sont pas sortis, deux chefs de section d'un coup ! Et ailleurs comment cela s'est-il passé ? Et l'infanterie qui n'arrive pas ! Je fais replier ma compagnie derrière le passage à niveaux. Nous tiraillons sur tout ce qui bouge. L'infanterie n'arrivera pas. Par la fente de tourelleau j'inspecte lentement le terrain, encore une attaque râtée et qui coûte cher a la compagnie. Cinq chars détruits en trois jours. Deux équipages disparus, sept manquants déjà... Qu'est-ce que c'est que ce rampant ? Le mécano de "L'Orléans". Je sors par la porte de tourelle, me laisse glisser derrière mon char, appelle le pilote.
[i]"Que s'est-il passé ?"[/i]
Le chasseur Brébat, tout pâle, cherche sa respiration. Il peut enfin me répondre, et me montrant du doigt un petit bois à 300 mètres à droite, en bordure de la voie ferrée, articule :
[i]"Ils sont tous là. Mon Lieutenant est blessé et le pilote de "L'Alma" a une patte cassée. Les autres n'ont rien."[/i]
Le coeur bondissant, je dégaine mon pistolet,
[i]"Conduis-moi, vite."[/i]
Je n'aurais jamais cru pouvoir ramper si vite. Dans le bois, le chef de la 2ème section, Goddalis, est là, couché dans les herbes humides et marécageuses. Il a un éclat dans l'épaule, un autre dans le dos, et souffre terriblement. Pendant que Boudard (chef de la 1ère) et moi-même lui taillons sa veste de cuir au couteau pour le soigner, ses yeux chavirent. Il est blême et luisant de sueur, mais ne laissera pas échapper une plainte.
Après un pansement sommaire, je lui passe ma chemise, puis, toujours rampant et le plus doucement possible nous regagnons la compagnie en portant les blessés. Ce n'est qu'après leur évacutation que j'ai commencé à me demander comment ils avaient bien pu sortir de leurs chars en feu sous une grêle de balles et d'obus, et regagner nos lignes. Mais ils ne le savaient pas eux-même... 19 heures, la compagnie tire toujours lorsque je reçois l'ordre de repli."
_________________ "Délibérer est le fait de plusieurs. Agir est le fait d'un seul."
[Charles De Gaulle]
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