Je simplifie ici, mais ça reste une idée simple, l’[b]
[u]opposition entre :[/u][/b]
-les [b]
[u][size=150]batailles d’encerclement allemandes[/size][/u][/b] (progresser pour encercler – démolir l’outil combattant, prendre les villes)
-[b]
[u][size=150]L’art opératif soviétique[/size][/u][/b] (progresser en profondeur pour disloquer – disloquer l’ensemble du système adverse), modèle de l’opération Bagration (été 44) et surtout Vistule-Oder (12 janvier 45, l’Oder est franchie le 31 janvier)
Ceci me vient de la [u]géniale trilogie récente, de Jean Lopez :[/u] Stalingrad (1), Koursk (2), et le sujet ici : « Berlin, les offensives géantes de l’armée rouge » (3):
http://www.laprocure.com/livres/jean-lo ... 57832.htmldans le DSI de cet été il y avait d’ailleurs eu un très bon article sur la question.
http://www.dsi-presse.com/?p=1713ici un bon texte complémentaire à ce que j’énonce ici :
http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article2788[u]Alors de quoi que c’est qu’on cause ici ?[/u]
1/de [b]
[u]comment et pourquoi l’art opératif soviétique a triomphé[/u][/b] (en fait, en zoom arrière : comment un mouvement synchronisé, préparé et soutenu est la [b]
[u]clé d'une campagne courte et victorieuse[/u][/b])
2/ pourquoi durant toute la guerre froide l’Europe de l’Ouest a eu une peur bleue, car savait très bien qu’en cas d’attaque sov (un corps de bataille de 23,000 chars au max, excusez du peu), la [b]
[u]déferlante[/u][/b] aurait été [b]
[u]IMPOSSIBLE à arrêter[/u][/b]. La consigne était : tenir 7 jours en attendant l’aviation d’assaut US. Mais les Sové se pensaient à Lyon en 3 ( !!!) jours. J’en discutais il y a une semaine avec une personne bien informée, tout le monde « savait » que tenir « 7 » jours était terriblement optimiste.
Certains savent ici ce que je pense de tout ça, comme de la 2nde GM, c'est à dire que les batailles sont des épiphénomènes secondaires par rapport à ce qui a amené Hitler/Staline au pouvoir, de comment la guerre est survenue : comment Churchill a relancé la guerre froide et surtout comment les britanniques (en fait : des esprits malades, mais tout spécialement britanniques...) ont depuis 300 ans, oeuvré pour une démolition des nations les unes contre les autres...
[u]Donc :[/u] Que la Guerre Civile Européenne de 1914-1945 et une éventuelle 3e (pour la finition
) soit ou ait pu être de toute façon d’une tristesse insondable, un gâchis colossal… n’est pas le sujet ici.
[u]mais IL N’EMPÊCHE :[/u] sous le strict angle « opérationnel », nous aurions étés balayés d’une manière n’ayant pas de précédent dans l’histoire, en fait les précédents sont dans la [b]
[u]fin de la guerre[/u][/b], où [b]
[u]les soviétique ont montré une maestria nouvelle dans la maîtrise de l'art opératif,[/u][/b] appris dans le sang et les errances, mais également théorisée par eux dès les années 30.
[b]
[u][size=150]Donc : deux conceptions différentes s’affrontent.[/size][/u][/b]
[b]
[u]-les teutons [/u][/b]encerclent les armées adverses, et prennent les villes. Ils enchaînent les grands succès, et espèrent que ça durera comme ça jusqu’à une fin politique du conflit (même exemple de napoléon, qui attend une solution politique après Borodino, qui ne vient pas)
[b]
[u]-Les soviétiques [/u][/b]disloquent le système adverse en profondeur, grâce à des armées de tanks autonomes et servies par une logistique « au poil ». Ils ne recherchent pas l’encerclement ni la prise des villes. Ce n’est que le « 2e rang » qui réduit les poches de résistance. La seule exception, c ‘est la prise de Berlin : non-sens stratégique, mais énorme prestige politique, payé par plusieurs centaines de chars détruits dans Berlin.
D’ailleurs, en ce sens l’expression
[b]« rouleau compresseur »[/b] est inadaptée pour décrire les soviétiques. C’est plutôt d'un [b]
cisaillement,[/b] éventuellement assimilable à une [b]
[u]logique de cavalerie [/u][/b](cosaque!), servie par des préparations d’artilleries, il est vrai, dantesques (uniquement permises, d’ailleurs, grâce à l’aide américaine, Joukov le reconnaîtra dans les années 60 sur des enregistrements du KGB)
L’idée majeure est que, par cette [b]
[u]dislocation du dispositif adverse plutôt que par une progression « en ligne de front », [/u][/b]le Modèle opératif de l’opération « Vistule-Oder » de Joukov, a permis de raccourcir la durée des opérations :
[u]NB :[/u] quand on dit « Joukov » c’est en englobant les hommes clés à Moscou (Antonov, Chtemenko), son chef d’EM (Malinine), le patron des services arrière (Antipenko) qui font un boulot crucial et le font bien, et deux grands spécialistes tankistes (Katounov et Bogdanov). Conclusion ici : un succès, c’est d’abord un « personnel », une équipe.
Le front de Biélorussie, de la Vistule à l’Oder (60km de Berlin) a parcouru 600 kms en 19 jours, face à un demi-million de teutons animés par l’énergie du désespoir et d’un outil encore respectable. Ils ne vont tenir cette cadence, que par la redécouverte des
[u]règles « systémiques » redécouvertes par le haut Commandement soviétique (Stavka) à partir de 1942, mais en fait théorisées dans les années 30 par Toukhatchevski et Triandafillov ([/u]notamment, attention, ces prescriptions ne sont qu’une variante de l’[b]
[u]art opératif appliqué aux armées blindées[/u][/b]) :
1- [b]
[u]Connaître au mieux l’espace à parcourir[/u][/b] dans sa réalité géographique (obstacles, nœuds vitaux…), politiques (attitude des populations), militaires (connaissance complète du dispositif adverse et de ses réserves…).
[u]2- Pénétrer le plus loin possible dans la profondeur[/u] en suivant les itinéraires les pus rapides. Tout faire pour [b]
[u]conserver le *moment* (au sens physique, cinétique) des armées de chars ; Masse x Vitesse x Surprise (MVS)[/u][/b]
[b]
[u]3- Renoncer aux encerclements,[/u][/b] dévoreurs de temps et de carburants
4- Eviter les villes, laissées aux seconds échelons des armées mixtes. Il n’y a dans les trajectoires des forces de Joukov[b]
[u] ni arabesque, ni contorsion, mais la recherche d’un cisaillement, d’une fragmentation du système militaire adverse[/u][/b].
[u]Les allemands ne l’ont pas compris,[/u] eux qui ont loué la performance du XXIVe PzKorps du général Nehring, capable de retraiter en hérisson sur 500kms. [u]Aveuglement tactique typique :[/u] Nehring, par simple attrition mécanique et sans jamais avoir affaire à autre chose qu’à des unités soviétiques de second ordre, laisse dans son repli (« anabase ») 95% de son matériel et des dizaines de milliers d’hommes. Sans l’assaillir, Joukov le réduit à néant (et dans la vitesse de sa progression, des KT sont choppés en plein approvisionnement, il y a eu des carnages à peu de frais...).
Vraiment, Joukov a tout fait pour [b]
[u]utiliser au maximum l’inertie emmagasinée[/u][/b] par ses deux armées de tanks pour avaler les plaines polonaises comme un feu de brousse.
[u]Question : [/u]est-ce que les allemands auraient pu faire mieux, différemment ? Globalement, non, sinon par des améliorations uniquement au niveau tactique, en garnissant mieux leurs défenses sur la Vistule, comme en France durant la 1e GM. Mais la disproportion des forces était telle qu’il ne pouvaient compter que sur le fautes soviétiques. Or ils n'ont commis aucune erreur.
Finalement, les [b]
[u]allemands[/u][/b], depuis la campagne de Pologne, ont été les [b]
[quote][u]maîtres incontestés de la dimension tactique de l'art militaire :[/u][/quote][/b] synchronisation inter-arme et articulation des nouveaux concept : division blindée autonome, primat de la vitesse sur la cuirasse, liaison air-sol intégrées et servies par de remarquables moyens radio, un usage révolutionnaire du transport aérien (paras, planeurs, acheminement logistique comme il y en a eu beaucoup dans le plan bleu vers Stalingrad).
Cette [b]
maîtrise a été d’autant plus aboutie qu’elle se greffait sur une excellence tactique entretenue depuis 1813[/b].
[b]
[u]Si les soviétiques ont inventé l’art opératif, les Allemands ont porté très loin la tactique[/u][/b], soigné comme personne la formation des personnels, pratiqué à fond l’Auftragstaktik (l’engagement orienté « mission », la délégation à tous niveaux, la redondance des capacités de commandement, etc…).
Le teutons ont fait de l’art opératif durant la campagne de France, sans l’avoir réellement voulu et théorisé précédemment, mais avec cette même idée de cisaillement. Mais à contrario de Vistule-Oder, ils ont été également aidé par un commandement français qui a fait TOUTES les erreurs en même temps, mais le plan jaune (campagne de France) a été un bijou opératif.
[u]Au final, en faisant la comparaison entre l’Armée rouge et l’armée allemande : [/u]la première a dépassé la seconde, par un mélange d’archaïsme, de lacunes technologiques (radios, formations, liaisons inter-arme et formations bâclées…), donc en étant maintes fois inférieure sur le plan tactique, mais a gagné par un modèle stratégique réellement abouti et en avance sur son temps, tout en maîtrisant (et ayant les moyens de) ses aspects logistiques (et pas uniquement par le sacrifice « idiot » de ses combattants).
(on fait abstraction ici des bombardements alliés, d’Hitler gênant son Oberkommando et de beaucoup d’autres choses, j’en conviens…)
[u]Deuxième point annexe:[/u] les 11 jours (sans compter les manœuvres d’approche) pour prendre Berlin. Pour le général Henrici (Cdt du groupe d’Armées Vistule), cette bataille est un non-sens absolu. Elle se gagne/perd à l’extérieur de l’agglomération, spécialement sur l’Oder, mais si le périmètre est percé, autant la déclarer « ville ouverte » comme Paris en 1940. Une bataille de Paris n’aurait eu aucun sens militaire (politiquement, on peut en discuter), car la bataille de France est déjà perdue.
A contrario, par Odessa, Sébastopol puis, surtout, Stalingrad, [b]c’est dans dans le combat urbain que les russes ont épuisés les allemands[/b], les ont plus précisément [b]« fixés »[/b]. Mais c’est bien plus par l’acharnement totalement irresponsable de Hitler. Stalingrad aurait pu être prise sans coup férir dès septembre 1942. Mais par suite de cafouillages après, il fallait l’ignorer totalement, certainement pas se battre pour chaque maison, ça n’avait pas lieu d’être (uniquement un symbole politique, mais c’est cet aveuglement, cette négligence des buts stratégiques du plan bleu vers le Caucase qui a coûté si cher à l’Allemagne. Reste la possibilité qu’Hitler ait voulu une victoire politique [Stalingrad] contre une défaite stratégique [les pétroles de Bakou-Maïkop])
Intéressant de relier cet acharnement irresponsable de hitler à la volonté de suicider son propre peuple : c’est par sa volonté et elle seule, qu’à été imposée la bataille de Berlin, en détournant une partie des forces d’Heinrici et en mobilisant toutes les forces supplétives possibles (Volksturm, jeunesses hitlériennes…). La ville est rapidement encerclée, matraquée jour et nuit par artillerie et aviation, aucune armée de secours n’est disponible, le régime est à l’agonie. Il n’y a même pas de visées « médiatiques », comme on pourrait dire aujourd’hui. Les soviétiques se moquent complètement des victimes civiles allemandes, de même que toutes les opinions publiques occidentales. Mais ce combat urbain n’a pas de sens militaire. Hitler a juste voulu une fin wagnérienne à ce qu’aurait dû être le IIIe Reich, on est bien loin du calcul politique des guerres asymétrique d’aujourd’hui.
Maintenant, imaginez qu’à Bagdad, 100.000 hommes de la Garde Républicaine et leur armement se soient retranchés au milieu de 3Millions de civils. Imaginez-les se défendre avec autant d’énergie qu’à Berlin et décidé à périr autour de leur Raïs. Qu’auraient-fait les américains ? En 91 ils ne s’y sont pas collés, mais si Tommy Franks en 2003 avait décidé de donner l’assaut à fond : auraient-ils nettoyés la cité en onze jours comme les soviétiques à Berlin ?
Les américains ont mis 19 jours pour prendre la modeste Aix-la-Chapelle(1944), un mois pour manille(1945), 34 jours pour Hué(1968). Ce qu’on peut dire, c’est que la prise de Berlin en 11 jours est une performance militaire tout à fait remarquable, payée de beaucoup de sang, pour s’emparer d’un avantage politique de première grandeur pour Staline. C'est une entorse dans l'art opératif soviétique, mais il faut croire qu’il ne s’est pas trompé : 60 ans après, le pouvoir d’évocation de cette victoire demeure, et toutes les tentatives pour minorer les performances de l’armée rouge dans la 2e GM ont buté sur la prise de Berlin.